Posté le 17 mars 2024 par La Rédaction

Il est 16 h 30, nous arrivons depuis les navettes devant la gare d’Ambérieu-en-Bugey, prêts et déterminés à rendre hommage à nos ancêtres qui se sont battus pour rendre notre liberté. Le choix de cette gare comme point de départ n’est pas le fruit du hasard : elle a été le théâtre d’un gros sabotage organisé la nuit du 6 juin 1944. Le speaker le plus connu dans le monde du trail, Ludovic Collet, donne l’assaut sous le Chant des Partisans.

17 h : la charge des guerriers

17 h signe la charge des guerriers, armés de bâtons pour la plupart. Nous ne savions pas ce que nous allions endurer. Très vite, nous montons sur les chemins et longeons de jolis balcons avec vue sur la Plaine de l’Ain. Je reste prudent pour ne pas dégringoler la colline. Nous arrivons au kilomètre 10,5 à Saint-Rambert-en-Bugey. La traversée du village résonne telle une ambiance de Tour de France. Ça réchauffe le coeur. Le deuxième gros raidard nous enfonce petit à petit dans la pénombre. La nuit est bel et bien tombée. Subitement, une ombre apparaît : c’est un maquisard qui m’alerte d’un gros guet-apens deux ou trois mètres plus loin. Ça ressemble à un trou de renard, mais il aurait fait des dégâts si j’étais tombé dedans… J’arrive à la Ferme de Marchat où un feu de Bengale a été allumé. Les hôtes nous proposent une gnôle… Je décline, il me reste encore du chemin. Je m’enfonce dans la brouillasse à travers la forêt sombre. L’ambiance est lugubre, avec parfois des hiboux qui résonnent. Je sens que je suis surveillé. Subitement, une légende s’édifie devant moi. « Comment ça va ? » m’interroge-t-il. C’est effectivement un monument de l’histoire TV du sport olympique, le commentateur Patrick Montel. Impossible de ne pas m’arrêter au kilomètre 38. Mes mots sont complètement improvisés, mais sa pêche et son naturel me motivent à aller de l’avant et ne rien lâcher. J’arrive sous un refuge festif et même commémoratif à la Ferme des Gorges. Un ravitaillement furtif et je repars aussitôt. Au kilomètre 45, près du village de Cerdon, je descends un chemin goudronné. Je m’approche et devine le drapeau tricolore. Je distingue la forme d’une figure sortant du rocher, et lis « Où je meurs renaît la patrie ». C’est un monument des Maquis de l’Ain, gigantesque. Forcément, j’ai une grande pensée pour mes deux grands-parents qui me racontaient ces moments de déchirement. Ma grand-mère allant cacher son fils Jackie (mon oncle) dans la campagne de Saône-et-Loire. Tout ça a véritablement existé. Je repars accomplir ma mission du jour. Malgré la fatigue, je grimpe à belle allure. J’avais fait le choix de ne pas prendre mes bâtons pour la première fois sur un ultra. Je voulais me battre avec mes jambes, et c’est tout. « Allez Sylvain ! » je martèle.

Le gros ravito

Le gros ravito du kilomètre 60, à Maillat, arrive à point nommé : je commence à cramper et j’ai un trou dans l’estomac. Les bénévoles sont tous aux petits soins. Après Saint-Martin-du-Fresne, nous rentrons dans une purée de pois. Le halo de la frontale ne permet pas de voir à plus de 3 mètres. À cela s’ajoute une boue collante, glissante. Même sur le plat, on a du mal à courir. Un vrai chantier de guerrier ! Arrivé à Nantua, je refais le plein. Je sais que la route est encore longue. Je repars droit dans le pentu et c’est périlleux. Nos pieds glissent dans la boue, la pente est à 35 %. J’essaie tant bien que mal de positionner mes pieds sur des marches naturelles, pour ne pas glisser. S’ensuit la descente encore plus casse-gueule. Au kilomètre 80, on continue sans cesse de gravir. Les montées sont boueuses à souhait. C’est une sacrée épreuve, difficile de trouver du bonheur là-dedans, mais peu importe : elle nous rapproche toujours un peu plus de ceux qui sont vraiment tombés pour nous. J’arrive enfin au ravito du lac Genin, à l’aube. Je remplis mes gourdasses, même s’il reste peu de kilomètres. Il fait un soleil d’hiver, je trottine, j’alterne course et marche. La forêt d’Oyonnax est une boucherie, je reste extrêmement attentif. C’est éprouvant. On continue de grimper, je suis rincé. Les derniers kilomètres se font en longue descente, pas très pentue mais piégeuse car il y a des cailloux partout. Brusquement, je vois les gyrophares bleus et rouges d’un quad avec un traileur gisant par terre. Sa tête est en sang, sa femme est à ses côtés. L’arcade est pétée, c’est impressionnant. J’esquisse un timide « Bon courage ». Je me répète que rien n’est gagné et, comme me disent mes amis sur les centaines de messages reçus cette nuit-là : mieux vaut ralentir et assurer, que de tomber à quelques kilomètres. Peut-être que ce traileur a sauvé bien d’autres pressés… Tu es donc tombé en héros, mon gars !

L’arrivée, enfin !

Nous arrivons enfin sur Oyonnax. Un campement a été édifié pour l’occasion. Je pose pour une photo avec ces maquisards du jour ; une équipe solidaire et très sympathique ! Voilà Valexpo, puis l’arche qui sonne la délivrance : c’est peu de le dire ! Je suis finisher de cette Trace des Maquisards 2024, mais aussi libre, le point levé. Je suis fier d’avoir rendu un bel hommage à ces hommes, à nos anciens, pour tout ce qu’ils ont fait. Pour nous avoir donné cette liberté… Merci !